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Parce qu'ils limitent la déforestation, les programmes de protection des tigres en Inde favorisent le stockage naturel du carbone, indispensable dans la lutte contre le réchauffement climatique, selon une étude parue jeudi.
Les trois quarts des populations de tigres sauvages, une espèce menacée à travers le monde, vivent en Inde. La destruction de leur habitat naturel, due au développement urbain et à la déforestation, y a décimé les populations: environ 40.000 "Panthera tigris" (dont les tigres du Bengale) arpentaient les forêts du pays au moment de son indépendance en 1947, pour tomber à 1.500 en 2006, avant de remonter à plus de 3.000 individus en 2023, selon le dernier recensement officiel.
Pour enrayer la chute, l'autorité chargée de la conservation des tigres en Inde (NTCA) a désigné 52 réserves naturelles. Ces sites à protection renforcée sont tenus de réglementer l'exploitation forestière, réduire la déforestation et développer des moyens de subsistance alternatifs pour les - nombreuses - communautés vivant à proximité de ces carnivores sauvages.
Les plus grands des félins ont un atout de poids, celui de figurer parmi les "espèces parapluie", celles dont l'espace vital très vaste. "En les protégeant, on protège en même temps les forêts et l'extrême diversité de faune sauvage qu'elles abritent", dit à l'AFP Aakash Lamba, chercheur à l'Université de Singapour, principal auteur de l'étude publiée dans Nature Ecology and Evolution.
Or l'écosystème forestier est l'un des principaux puits de carbone naturel de la planète car il séquestre le CO2 dans les arbres et le sol. Sa préservation est donc un outil crucial pour lutter contre le réchauffement climatique alors que le géant sud-asiatique, troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre, s'est engagé à baisser ses émissions carbone.
Pour Aakash Lamba, qui a grandi en Inde, la résolution de la crise climatique et de la crise de la biodiversité ne sont pas des questions distinctes. Il a donc voulu recueillir des "preuves tangibles" d'un lien entre protection de la faune et émissions de carbone.
Lui et ses équipes des universités de Singapour et de Princeton (Etats-Unis) ont fait appel à la méthode dite à "contrôle synthétique", utilisée en statistiques pour mesurer l'impact des politiques publiques en comparant les taux de déforestation dans les réserves spécifiquement dédiées aux tigres, à des zones abritant aussi des félins, mais moins strictement protégées.
- Bénéfices pour l'économie -
Résultat: entre 2001 et 2020, l'ensemble des aires étudiées (162) ont perdu plus de 61.000 hectares de forêt. Plus de 75% de cette déforestation est survenue dans les zones sans protection spécifique, comme le sanctuaire de Kotgarh (est de l'Inde) amputé à lui seul de 9.000 ha.
A l'inverse, dans 45 réserves de préservation des tigres, la déforestation a été bien inférieure: près de 6.000 hectares de perte nette ont été évités, ce qui correspond à environ 1 million de tonnes de CO2 évitées.
Cette trajectoire est plus nettement marquée dans les réserves du centre de l'Inde particulièrement "performantes" en la matière. L'étude cite en exemple celle de Nawegaon-Nagzira qui a développé une "connectivité écologique" entre les parcelles de forêt, avec des corridors favorisant les mouvements des différentes populations de tigres. Une stratégie "cruciale pour le brassage génétique qui assure la survie de l'espèce à long terme", explique Aakash Lamba.
Il souligne l'apport de ces politiques pour l'économie du pays, frappé de plein fouet par les conséquences du changement climatique, notamment dans le secteur agricole: le "coût social" du carbone s'y élève à 86 dollars par tonne émise. Selon l'étude, 92 millions de dollars seraient donc "économisés" grâce aux émissions évitées.
En crédit carbone, cela représenterait 6 millions de dollars, soit le quart du budget annuel consacré à la conservation des tigres.
"Cela démontre que les investissements dans la protection de la biodiversité préservent non seulement les écosystèmes et la faune sauvage mais bénéficient aussi à la société", commente le scientifique.
Ses conclusions vont dans le même sens qu'une étude parue en mars dans Nature Climate Change, montrant que la protection ou la réintroduction d'une poignée d'espèces sauvages à travers le monde (baleines, loups, loutres, gnous...) pourrait faciliter la capture de 6,4 milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an, essentielle pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris.
L.Rodriguez--TFWP