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Pas de syncope mais encore des sueurs froides: si le gouvernement se félicite d'avoir évité "la catastrophe annoncée" aux urgences, sur le terrain, des soignants "essorés" redoutent déjà un automne "très compliqué".
Le pire n'est jamais sûr, mais au CHU de Rennes l'été s'est avéré "pire que les précédents, comme on l'avait anticipé". Chef des urgences du principal hôpital d'Ille-et-Vilaine, le Pr Louis Soulat sait qu'il s'en est fallu de peu, avec quatre services du même département "fermés simultanément pendant la nuit", un bond de 30% des appels au Samu en juillet-août et "deux fois plus" de lits fermés pendant les grandes vacances du personnel.
Tant bien que mal, avec le renfort d'étudiants et un effort des cliniques privées, "les urgences ont tenu le coup", dit-il.
Mais "on ne peut pas dire non plus que ça s'est bien passé", ajoute son confrère Vincent Bounes, patron du Samu de Haute-Garonne, où "c'était la première fois qu'on avait affaire à des fermetures de services sur de nombreux établissements, parfois sur une semaine entière".
Même le CHU de Toulouse a dû se résoudre à n'accepter que les "urgences vitales" certains soirs, en raison d'une grève des soignants réclamant plus d'effectifs. Heureusement, le flux de patients s'est tari à la mi-juillet, en partie grâce à une septième vague de Covid montée moins haut que les précédentes, constate-t-il.
Un peu de chance et beaucoup d'huile de coude, donc. Le ministre de la Santé, François Braun, retient surtout que "la catastrophe annoncée ne s'est pas produite" et veut y voir l'effet de sa "mission flash" rondement menée juste avant son entrée au gouvernement tout début juillet.
Ainsi, l'augmentation des appels au Samu "de l'ordre de 20%" au niveau national montre selon lui que la consigne officielle "d'appeler le 15 avant de se déplacer" a porté ses fruits et que "ce message est passé".
- "Mise en danger" -
"Il y a un changement de perception chez une partie des patients", davantage conscients de "la nécessité d'une régulation médicale", confirme le Pr Karim Tazarourte, chef du Samu de Lyon, convaincu qu'il faut insister sur ce point et "marteler qu'on ne doit pas se priver de demander un avis avant de venir aux urgences".
Mais à l'autre bout du fil, "la pénibilité du travail a augmenté" pour les soignants et les temps de "décroché" sont "beaucoup plus longs", ce qui met "en danger les gens qui appellent pour des urgences", dénonce Gilbert Mouden, infirmier anesthésiste et élu Sud-Santé au CHU de Bordeaux, qui fait état d'un pic à 35 appels en attente simultanément.
"Il y a un fossé entre la communication du ministre et la réalité", affirme la CGT-Santé, qui observe que "les centres 15 sont débordés, les personnels sont épuisés" et "les services d'urgence ferment de manière impromptue (...) y compris dans les grandes villes".
Les syndicats en arrivent à saisir la justice: comme à Laval mi-août, un signalement a été adressé la semaine dernière au parquet de Bayonne, pour "mise en danger" des personnels et des patients. "Si l'un d'entre nous est un jour mis en cause, la justice aura été alertée de ce qui se passe", explique Patrick Cazalis, délégué Unsa de l'hôpital basque.
"Des drames, il y en a eu, comme tout le temps", avance Marie-Pierre Martin, présidente du Collectif Inter-Urgences, qui voit "toujours des malades rester 24, 48 heures ou plus, soignés en mode dégradé juste parce qu'il n'y a pas de places ailleurs".
La situation reste précaire. "Les équipes sont essorées" et "très fragiles", souligne le Dr Marc Noizet, chef des urgences de Mulhouse et successeur de M. Braun à la tête de l'association Samu-Urgence de France. Prédisant déjà "un automne très compliqué", il espère "des signaux forts dès cette rentrée", pour empêcher "que certains services se retrouvent encore en plus grandes difficultés"
W.Knight--TFWP