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Dans l'est de l'Ukraine, l'officier ukrainien "Goth" allume sa pipe, insensible aux explosions autour de lui, stressé pour une autre raison: ses hommes meurent en cédant du terrain aux soldats russes, qui vague après vague déferlent, en dépit de lourdes pertes.
"On perd du terrain face à de la chair à canon", constate-t-il, amer.
Dans sa zone de la région de Donetsk, non loin de Kourakhové, l'ennemi ne cesse d'avancer en prenant, selon des estimations, 725 km2 rien qu'en novembre, soit ses plus grands gains territoriaux depuis les premières semaines de l'invasion russe de l'Ukraine lancée en février 2022.
Des avancées obtenues pourtant aux prix d'immenses pertes : 53 hommes par kilomètre carré de territoire saisi, selon les estimations de l'Institut américain pour l'étude de la guerre (ISW).
Selon les Ukrainiens, l'une des tactiques russes consiste à envoyer de petits groupes de trois à cinq soldats couverts par l'artillerie pour creuser des tranchées près des positions ukrainiennes.
Les survivants, s'il y en a, seront rejoints par d'autres, et ainsi de suite, formant une vague d'assaut "constant", affirme le commandant "Goth".
Une approche qui fonctionne, selon lui, dans la mesure où le commandement russe ne semble guère se soucier de ses pertes et que l'armée ukrainienne est en sous-nombre et n'a pas la puissance de feu nécessaire pour détruire les canons russes.
"On tuera les trois qui attaquent, puis les suivants, et après trois jours d'efforts ils perdront peut-être dix soldats, mais l'artillerie (russe) nous fera reculer", résume Goth.
- "Hachoir à viande" -
La Russie "crée des trous dans notre défense", déplore cet ancien marin civil de 26 ans. "On tente de les combler avec les drones explosifs".
C'est le travail de Kourt, qui dirige une unité de la 28e brigade, vers Toretsk, une autre zone où Moscou est à l'offensive.
Ses pilotes sont des as, mais cela ne suffit plus : "Nous combattons une armée quatre fois plus peuplée", assène le commandant.
"Cinquante pour cent, c'est de la chair" à canon, "des anciens prisonniers, des gens issues des castes inférieures" dont "la Russie n'a pas du tout besoin", affirme-t-il.
Cette méthode, qualifiée de "hachoir à viande" par Evguéni Prigojine, le chef de la milice russe Wagner, a été utilisée dans les assauts de Bakhmout et d'Avdiïvka, villes de l'est de l'Ukraine, rasées de la carte en 2023 et début 2024.
Les pertes massives à Bakhmout étaient d'ailleurs l'une des causes de la mutinerie de Prigojine en juin 2023.
La fin du soulèvement, au bout de 24 heures, et la mort du chef de Wagner dans des circonstances opaques, a clôt le débat, mais le recours à de la "chair à canon", selon Kiev, n'en reste pas moins une réalité.
La Russie ne communique pas ses pertes militaires. Mais en novembre, une responsable russe a laissé échapper avoir reçu quelque 48.000 demandes de tests ADN de membres de la famille de soldats combattant en Ukraine et cherchant un proche, un rare aperçu de l'ampleur potentielle des pertes militaires.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pour la première fois dévoilé vendredi le chiffre global des pertes ukrainiennes: 43.000 soldats ukrainiens tués et 370.000 blessés depuis le début de l'invasion. Les pertes russes sont largement considérées comme bien supérieures.
- De Sibérie occidentale -
L'AFP s'est entretenue avec deux prisonniers de guerre russes disant venir de Sibérie occidentale, près de la frontière kazakhe, sans pouvoir établir dans quelle mesure ils s'exprimaient librement.
L'un a expliqué s'être engagé à la demande de sa femme, pour pouvoir payer les réparations de sa voiture.
Le second a affirmé avoir pris les armes sous le conseil d'un policier à sa sortie de prison, motivé par le salaire. L'homme a assuré avoir été promis "un poste de cuisinier", mais s'est retrouvé au front après trois jours de formation, a-t-il dit à l'AFP.
"Pour Moscou, ça ne coûte rien de tuer 100 ou 150 personnes pour prendre un carré d'arbres. Pour nous c'est différent. Nous comptons chaque soldat", dit Kourt, pour qui le seul moyen de gagner la guerre, c'est d'avoir plus d'hommes.
"Nous sommes reconnaissants de l'aide internationale, mais ce n'est pas suffisant pour gagner", dit-il.
Au regard du volume des pertes, Moscou aura bientôt aussi besoin d'hommes, estime pour sa part Goth.
En attendant, il espère un hiver rude qui gèlera les sols et gênera la stratégie du "hachoir à viande" tout en avouant être lui-même épuisé.
"Je ferai sûrement une sorte de dépression ou quelque chose comme ça, mais ma femme sera là pour m'aider", dit-il en se versant un café.
G.George--TFWP