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"Pas de police" pour faire exécuter ses jugements, mais des arrêts qui rencontrent "un écho" de par le monde: à 65 ans, la Cour europénne des droits de l'homme (CEDH) se veut sereine face aux critiques, sur fond de montée des populismes.
Réunie pour la première fois en 1959, la Cour de Strasbourg reçoit chaque jour des centaines de plaintes concernant l'un des 46 pays signataires de la Convention européenne des droits de l'homme.
Contestée par l'ancien gouvernement britannique ou par l'ex-ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin, la CEDH "a bien conscience des critiques en provenance de divers milieux et pays", reconnaît le juge slovène Marko Bosnjak, qui préside la Cour depuis juillet.
"Mais cela ne nous décourage pas", assure-t-il lors d'une rare rencontre avec la presse. "Nous faisons notre travail. Nous restons un organisme qui change la vie des gens en Europe et parfois au delà".
La CEDH a ainsi condamné la France pour avoir refusé de reconnaître la filiation d'enfants nés de mères porteuses à l'étranger.
Mais sa défense des droits suscite parfois de vives critiques, lorsqu'elle a interdit par exemple au Royaume-Uni d'expulser des migrants vers le Rwanda.
Ou lorsqu'elle a suspendu l'expulsion d'un Tchétchène de France vers la Russie en 2023. Le ministre Gérald Darmanin s'était alors dit prêt à payer l'amende imposée par la Cour. "Ce n'est pas grave", avait-il dit.
- "Dérives anti-démocratiques" -
Les juges de Strasbourg ont parfois du mal à faire respecter leurs décisions, comme lorsqu'ils exigent de la Turquie la libération de l'opposant Osman Kavala, bête noire du président Erdogan.
"Nous n'avons pas de police qui nous aide à faire exécuter nos jugements", admet M. Bosnjak.
Mais lorsque l'ancien gouvernement polonais sanctionnait des juges, la Cour lui a ordonné de cesser ces "dérives anti-démocratiques". "Dans tous les cas sauf un, cela a été suivi d'effet".
Selon la greffière de la CEDH, Marialena Tsirli, 80% des arrêts en moyenne sont exécutés par les pays concernés, même s'il ne s'agit souvent que d'indemniser les plaignants.
La Cour sait que certains de ses arrêts supposent des décisions politiques plus difficiles à prendre, "par exemple lorsqu'on demande à la France ou à la Grèce d'améliorer leurs conditions de détention".
"Il n'est pas facile de construire des prisons du jour au lendemain et d'expliquer à l'opinion publique qu'il faut améliorer le sort des prisonniers", reconnaît-elle.
- Questions "d'avant-garde" -
La Cour s'occupe de "questions nouvelles et d'avant-garde, comme le changement climatique", selon M. Bosnjak.
Au printemps dernier, elle a ainsi condamné la Suisse pour "inaction climatique", une grande première qui a résonné jusqu'en Corée du Sud, où la cour constitutionnelle a jugé que les objectifs de Séoul en la matière violent la constitution, relève le président de la cour.
"Nous savons que nous sommes une cour qui compte. C'est une bonne chose qu'il y ait des conséquences" à nos décisions, affirme M. Bosnjak même si les contestations existent comme de la part de la Suisse qui a critiqué l'arrêt la condamnant.
- 62.000 affaires en cours -
La cour rend quelque 3.000 arrêts chaque année, un chiffre à rapporter aux plus de 62.000 affaires qu'elle doit encore juger.
Avec ses 250 juristes, la CEDH doit faire le tri dans les plaintes qui lui parviennent parmi lesquelles 90% en moyenne sont jugées irrecevables.
Certaines tombent dans la catégorie "urgente" et remontent tout en haut de la pile, par exemple lorsque la survie d'un individu est menacée. Une autre catégorie, baptisée "impact" concerne les affaires qui ont une importance particulière dans le contexte politique ou sociétal.
En 2021, les juges avaient ainsi approuvé l'obligation vaccinale pour les enfants en République tchèque, en plein débat sur les vaccins contre le Covid-19.
Les 46 juges de la Cour (un par pays) sont nommés pour neuf ans. Pour les remplacer, chaque pays soumet une liste de trois noms à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la "maison-mère" de la CEDH.
"Il n'y a aucune chance que quelqu'un soit élu s'il ne remplit pas les critères" d'impartialité exigés par l'institution, assure M. Bosnjak.
"Un pantin n'aurait aucune chance".
F.Garcia--TFWP