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Figure majeure de la défense des droits humains en Russie, Oleg Orlov a passé plusieurs mois à être transféré de prison en prison. Aujourd'hui libre, il est convaincu que le pays compte beaucoup plus de prisonniers politiques qu'on ne le croit.
Condamné à deux ans et demi de prison en février 2024 pour avoir dénoncé l'invasion de l'Ukraine, cet homme de 71 ans a été libéré en août aux côtés d'opposants et de journalistes russes et étrangers en échange d'agents russes détenus en Occident.
Pendant les six mois qu'il a passé en détention au sein du vaste réseau pénitentiaire russe, M. Orlov s'était donné pour mission de collecter des informations sur les personnes détenues en raison de leur opinion politique.
En réalisant ce travail, il est tombé sur des personnes connues de son organisation, l'ONG Memorial, co-lauréate du prix Nobel de la paix - qui recense actuellement 768 prisonniers de conscience détenus en Russie - mais aussi sur des prisonniers passés entre les mailles du filet médiatique.
"Nous ne savions rien d'eux", explique M. Orlov lors d'un entretien à l'AFP dans la maison d'un ami, dans un village près de Varsovie en Pologne.
De quoi lui faire dire du système carcéral russe, sans hésitation: "Il y a beaucoup plus de prisonniers politiques en Russie que ce que nous croyons".
- "Désespoir" -
Oleg Orlov se souvient encore d'un de ses compagnons de cellule, Alexeï Maliarevski, 29 ans, qui collait des affiches en soutien au défunt opposant Alexeï Navalny, mort dans les geôles russes en février.
"Il a pris sept ans. Un jeune...", lance le dissident, qui dit ressentir un sentiment "d'injustice" pour avoir été échangé quand d'autres sont encore derrière les barreaux.
"Pourquoi sont-il encore là-bas et moi ici ?", s'interroge M. Orlov, qui dit avoir "toujours l'impression qu'(il va se) réveiller en prison".
Oleg Orlov dit aussi avoir vu une autre catégorie de prisonniers: les déserteurs.
Trois hommes, "traumatisés psychologiquement", lui ont dit que la plupart des soldats de leur unité ont été tués sur le front en Ukraine et que, face à une mort quasi certaine, ils avaient décidé de fuir.
Risquant une lourde peine, l'un d'entre eux envisage de retourner au front pour retrouver une liberté relative. Les gardiens de prison, eux, se démènent pour recruter d'autres détenus pour aller se battre, dont un septuagénaire emprisonné pour avoir dénoncé la guerre.
Comme les autres opposants russes, Oleg Orlov rejette l'image d'une soutien massif à l'invasion de l'Ukraine au sein de la population, bien qu'une partie des Russes "bénéficient de la guerre", du fait des investissements massifs de l'Etat dans l'économie et le complexe militaro-industriel.
- Se rendre en Ukraine -
Le but de sa vie est désormais de faire sortir les autres prisonniers politiques. Mais il a aussi un autre souhait: voir de ses propres yeux la guerre qu'il a dénoncée au prix de sa liberté.
"J'aimerais que les défenseurs des droits russes puissent se rendre en Ukraine", affirme M. Orlov, pour qui il est "très important de s'impliquer dans le travail de documentation des crimes de cette guerre".
Co-président de Memorial, M. Orlov a consacré sa vie à documenter les violations depuis l'époque soviétique, notamment lors des guerres de Tchétchénie dans les années 1990 et au tout début des années 2000.
Son projet ukrainien pourrait toutefois ne jamais se concrétiser car il n'est pas acquis qu'il soit autorisé par l'Ukraine, souvent méfiante envers les opposants russes.
Comme d'autres détracteurs du Kremlin libérés en août, M. Orlov a l'amertume d'avoir été chassé contre son gré de Russie, alors qu'il était prêt à y continuer le combat, même en prison.
Jusqu'à la dernière minute, le jour de sa libération surprise, il s'occupait de défendre ses droits face à la machine répressive: à l'isolement dans la tristement célèbre prison moscovite de Lefortovo, il avait rédigé une plainte dénonçant l'interdiction qui lui avait été faite de prendre une douche.
Il a attendu des jours pour la remettre à ses gardiens, mais lorsqu'un fonctionnaire de la prison est entré dans sa cellule, c'était pour lui annoncer que sa peine avait été annulée. Direction l'aéroport, pour Istanbul puis pour l'Europe où il réside désormais, à Berlin.
Que ferait-il s'il était encore en détention en Russie ? "La même chose", dit le dissident: continuer de défendre les droits de celles et ceux qui ont le courage de s'opposer au Kremlin.
L.Holland--TFWP