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Un peu moins d'un an après la signature d'un accord controversé entre Rome et Tirana, les premiers migrants arrêtés dans les eaux italiennes sont arrivés en Albanie mercredi, une externalisation de la demande d'asile jamais vue en Europe.
Peu avant dix heures, les 16 hommes originaires d’Égypte et du Bangladesh ont débarqué du Libra, navire de la marine italienne au port de Shengjin, dans le nord de l'Albanie. Leur voyage aura duré plus de 36 heures.
Une quinzaine de personnes les attendaient à l'arrivée, ont pu constater des journalistes de l'AFP, malgré l'interdiction totale d'entrer le port. Ils ont été escortés par la police italienne, par petits groupes, vers les portes du centre construit sur place pour les accueillir, surmontées des drapeaux italien et européen.
Les 16 hommes, tous plutôt jeunes selon les journalistes de l'AFP, doivent désormais être enregistrés, photographiés. Leur identité doit être vérifiée, dans ces préfabriqués installés par l'Italie à quelques mètres des bateaux de pêches et des cargos, entourés de hautes grilles et gardés par les forces de l'ordre italiennes.
Ils seront ensuite emmenés 20 km plus loin dans le camp de Gjader, qui pourra accueillir jusqu'à 880 personnes en même temps.
Là, installés dans des préfabriqués de 12 m2, également entourés de hauts murs, et surveillés par des caméras et des membres des forces de l'ordre italiennes, ils pourront déposer leurs demandes d'asile : dix écrans géants ont été installés dans un tribunal à Rome pour permettre aux juges de superviser les audiences. Les demandeurs communiqueront avec leurs avocats par visioconférence.
Les demandes d'asile doivent être approuvées ou rejetées dans un délai de 28 jours - les personnes qui attendent encore une décision après ce délai seront envoyées en Italie. Mais ce laps de temps paraît difficile à tenir au regard de la lenteur des procédures administratives italiennes.
Un bâtiment de 144 places sera destiné à ceux dont la demande aura été refusée et qui risquent un rapatriement. Une prison construite sur place pourra accueillir jusqu'à 20 personnes.
La construction des deux centres a coûté 65 millions d'euros à l'Italie, le double du budget prévu. A partir de 2025, le coût de l'accord pour l'Italie est estimé à 160 millions d'euros par an.
Ces millions "auraient pu être utilisés pour la santé publique pour diminuer les listes d’attente, alors qu’on les jette par la fenêtre pour déporter des migrants en piétinant leurs droits", a fustigé mercredi matin dans un entretien au Corriere della Sera Elly Schlein, cheffe du principal parti d'opposition, le Parti démocrate.
- "Leçons" -
Cette externalisation de la demande d'asile, une première en Europe, a été rendue possible par un accord controversé signé en novembre 2023 entre la cheffe du gouvernement italien d'extrême droite, Giorgia Meloni et le Premier ministre socialiste albanais, Edi Rama.
Il concerne uniquement les hommes adultes interceptés par la marine ou les garde-côtes italiens dans leur zone de recherche et de sauvetage dans les eaux internationales.
Saluant mardi un "accord courageux", Giorgia Meloni s'est aussi dite "fière que l'Italie soit devenue de ce point de vue un exemple à suivre", en évoquant l'intérêt des gouvernements français, allemand, suédois ou britannique sur la politique italienne de gestion des flux migratoires.
L'accord a été conspué par de nombreuses ONG de défense des droits humains qui y voient une violation des règles internationales.
Il "viole le droit maritime international et risque d’éroder encore davantage les droits fondamentaux des réfugiés", a écrit mardi l'ONG SOS Humanity, estimant que "cet accord est une nouvelle stratégie d’un État membre de l’UE visant à externaliser la gestion des migrations et à se décharger ainsi de sa responsabilité en matière de droits humains des réfugiés".
En début de semaine, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a mentionné dans une lettre aux Etats membres de l'UE une proposition inflammable de transferts de migrants dans des centres d'accueil de pays tiers, des "hubs de retour", appelant à tirer les "leçons" de l'accord Italie-Albanie.
N.Patterson--TFWP