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Dans la ville de Koursk, haut lieu d'un passé militaire prestigieux, des Russes cherchent un peu de répit après avoir fui l'avancée des troupes ukrainiennes.
La voix étranglée par l'émotion, Nina Goliniaïeva a du mal à finir ses phrases. Elle a fui la ville de Soudja, désormais sous contrôle ukrainien, à une dizaine de kilomètres au nord de la frontière russo-ukrainienne.
"J'ai eu très peur. Des obus volaient de tous les côtés, des hélicoptères, des avions de chasse survolaient la maison", raconte cette femme aux cheveux couleur roux.
"Le soir, j'ai vu des soldats (russes) marcher dans la rue (...) Ils m'ont dit +vous devez évacuer d'urgence, sinon ils vous tueront+", dit-elle.
Comme elle, ils sont plusieurs dizaines, de tous âges, à se masser aujourd'hui dans ce centre d'hébergement temporaire après avoir précipitamment quitté leur domicile dans la zone frontalière.
Après des mois de recul sur son front Est face à la progression des forces russes, l'Ukraine a porté le conflit sur le sol de l'assaillant en menant depuis le 6 août une offensive militaire d'une ampleur sans précédent dans la région de Koursk.
Kiev dit s'être emparé de dizaines de localités, ce qui a entraîné l'évacuation de dizaines de milliers de Russes, notamment vers la ville de Koursk elle-même, épargnée par les combats à ce stade mais parfois visée par des bombardements.
"On roulait et il y avait des voitures en feu tout autour, des morceaux de drones ou d'obus qui traînaient partout", poursuit Nina Goliniaïeva. "On roulait dans la peur, parce que tout tonnait. Le ciel était illuminé par une sorte de lumière rouge".
- Gloire et désespoir -
Dans ce centre d'accueil, les déplacés, qui ont tout perdu, reçoivent pleins de gratitude des biens de première nécessité et un peu d'aide juridique, ignorant quand ils pourront rentrer chez eux.
Les enfants, qui jouent par terre, détournent à peine le regard quand une sirène retentit à la télévision.
"Restez chez vous si possible. Entrez dans une pièce sans fenêtre, avec des murs solides. Ne vous approchez pas des fenêtres", intime une voix sur le téléviseur.
Le centre d'hébergement a lui aussi son abri antiaérien, mais il est cadenassé. "Le gardien est responsable des clés", lit-on sur un panonceau.
A l'entrée de Koursk, un signe géant rappelle le passé prestigieux de la cité. Une faucille et un marteau, des étoiles rouges, et l'inscription: "ville de gloire militaire".
Pendant la Seconde Guerre mondiale -que les Russes appellent la "Grande guerre patriotique"-, la région a été le théâtre de la plus grande bataille de chars de l'histoire, un affrontement dantesque qui s'est traduit le 23 août 1943 par une retentissante victoire soviétique face aux troupes nazies.
La gloire a aujourd'hui fait place au désespoir.
Sous les tentes blanches d'un point d'aide de la Croix Rouge russe, les personnes déplacées se pressent pour obtenir quelques vêtements.
Evocation lointaine d'un marché ordinaire, des manteaux, des chemisiers, des jeans pendent sur des portants. Mais ici, on n'essaie pas, on prend.
"On ne sait pas quoi faire. On pleure jour et nuit, tous les jours", confie Zinaïda Tarassiouk, une retraitée de 70 ans qui a elle aussi dû quitter son foyer.
"On ne sait pas ce qu'on va faire. On a tout laissé", dit-elle, les traits tirés.
- Scènes de dévastation -
Avant d'arriver à Koursk, certains ont vu des scènes de dévastation.
"Quand on a voulu partir, il y avait nos chars cassés, qui étaient en feu", témoigne Inna Pereverzeva, 50 ans. "On a pris le chemin inverse et tout était détruit. On a eu du mal à sortir. Et nos chars et notre matériel militaire venaient dans notre direction. Et puis, enfin, on est sorti".
A l'extérieur d'une tente où les volontaires de la Croix Rouge fournissent une assistance médicale, une femme fait contrôler sa tension artérielle. Dans un local tout près, des bénévoles trient l'aide humanitaire: couvertures, huile végétale, papier toilette...
Les yeux cernés, Lioubov Bonareva, 53 ans, attend, assise avec d'autres personnes évacuées.
"On n'a plus rien. On a juste pris notre voiture et on est partis", témoigne-t-elle. "On espère juste rentrer chez nous".
P.Navarro--TFWP