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Le prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus a prêté serment jeudi en tant que chef du gouvernement intérimaire au Bangladesh, où il doit mener "un processus démocratique" vers des élections après les 15 années de pouvoir de l'ex-Première ministre déchue, Sheikh Hasina.
"Je défendrai, soutiendrai et protégerai la Constitution", a déclaré M. Yunus au cours de la cérémonie, ajoutant qu'il remplirait "avec sincérité" ses fonctions de "conseiller en chef", son titre officiel, a constaté un journaliste de l'AFP.
Parmi les autres membres du gouvernement intérimaire, qui ont tous le titre de "conseillers" et non de "ministres", figurent Nahid Islam et Asif Mahmud, les dirigeants du mouvement étudiant lancé début juillet et qui a eu raison de Sheikh Hasina.
Ce gouvernement comprend également Touhid Hossain, ancien chef de la diplomatie, Hassan Ariff, ex-procureur général et Syeda Rizwana Hasan, une avocate spécialisée dans les questions environnementales et Asif Nazrul, un éminent professeur de droit et écrivain.
A son arrivée dans le pays à la mi-journée en provenance de Paris, l'économiste de 84 ans avait salué devant la presse et ses partisans un "jour glorieux" et "une deuxième indépendance" pour le pays, en référence à l'indépendance du pays en 1971 à l'issue de la troisième guerre entre le Pakistan et l'Inde.
- "Restaurer la démocratie" -
Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a immédiatement adressé ses meilleurs voeux à Muhammad Yunus, soulignant que son pays restait "déterminé à travailler (...) à la paix, à la sécurité" des deux pays voisins.
Le retour de l'ancienne bête noire de Mme Hasina, contraint à l'exil après une condamnation en début d'année considérée comme politique par ses défenseurs, suscite beaucoup d'espoir dans le pays, après des violences qui ont fait plus de 455 morts et la fuite en hélicoptère lundi de l'ex-dirigeante accusée de répression et d'atteintes au droits humains.
"Je pense qu'il pourra restaurer la démocratie" et "reconstruire notre pays", résume, euphorique, Suleiman Islam Russell, un vendeur ambulant de 25 ans venu jeudi accueillir l'économiste à son arrivée à l'aéroport de Dacca.
M. Yunus a assuré qu'il s'attèlerait en priorité à rétablir "la loi et l'ordre". "Si vous me faites confiance, veillez à ce qu'il n'y ait aucune attaque contre qui que ce soit, où que ce soit dans le pays", a-t-il martelé.
Le chef de l'armée, le général Waker-Uz-Zaman, a apporté son soutien à M. Yunus, se disant "certain" mercredi, dans un discours télévisé, que le prix Nobel serait "capable de mener un beau processus démocratique".
Lundi, des millions de Bangladais étaient descendus dans les rues de Dacca. Les manifestants avaient envahi le Parlement, incendié des chaînes de télévision pro-gouvernementales et détruit des statues du père de la Première ministre déchue, Sheikh Mujibur Rahman, le héros de l'indépendance.
- Scrutin "le plus vite possible" -
Les bureaux de la Ligue Awami, le parti de Mme Hasina, ont été incendiés et pillés à travers le pays. Des commerces et des maisons appartenant à des hindous - un groupe considéré par certains comme proche de l'ex-dirigeante - ont également été attaqués.
Depuis, "plusieurs centaines de ressortissants bangladais, pour la plupart hindous, se sont rassemblés en différents endroits le long de la frontière" avec l'Inde, a indiqué Amit Kumar Tyagi, inspecteur général adjoint de la Force de sécurité frontalière (BSF) de l'Inde.
Au niveau du district indien de Jalpaiguri, plus de 600 Bangladais se sont rendus dans le no man's land frontalier, a détaillé M. Tyagi. "Comme il n'y a pas de clôture ici, le personnel de la BSF a formé un bouclier humain pour les tenir à distance", a-t-il précisé à l'AFP.
Tarique Rahman, président par intérim du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), principal mouvement d'opposition à Mme Hasina, a appelé mercredi à organiser un scrutin "le plus vite possible", dans un discours vidéo adressé de son exil londonien à une immense foule à Dacca.
Le retour de M. Yunus a été facilité par son acquittement mercredi, dans un procès en appel pour infraction au droit du travail. Sa condamnation à six mois de prison en première instance en janvier, la seule prononcée contre lui sur plus de 100 procédures le visant, était considérée comme politique par ses défenseurs.
L'économiste, connu pour avoir sorti des millions de personnes de la pauvreté grâce à sa banque de micro-finance, pionnière en la matière, s'était attiré l'inimitié de Mme Hasina, qui l'accusait de "sucer le sang" des pauvres.
Le président Shahabuddin avait dissous mardi le Parlement, comme le réclamaient les étudiants protestataires et le BNP, après avoir ordonné la libération des personnes arrêtées pendant les manifestations et des prisonniers politiques.
- Police et armée remaniées -
Autre signe d'apaisement, le nouveau chef de la police Mainul Islam a promis mercredi une enquête "impartiale" sur les manifestations et présenté ses excuses pour la conduite de ses prédécesseurs, limogés par le président.
L'armée a elle aussi remanié son commandement, notamment en rétrogradant certains hauts gradés jugés proches de Mme Hasina.
Les manifestations avaient commencé après la réintroduction d'un régime réservant près d'un tiers des emplois de la fonction publique aux descendants d'anciens combattants de la guerre d'indépendance. Les organisations de défense des droits humains accusaient le gouvernement Hasina de vouloir mettre les institutions à son service pour éradiquer toute dissidence.
Mme Hasina, âgée de 76 ans, avait été Première ministre de 1996 à 2001, avant de revenir au pouvoir en 2009. Elle avait remporté en janvier un cinquième mandat à l'issue d'élections sans véritable opposition. Désavouée par l'armée, elle s'est enfuie lundi en hélicoptère vers l'Inde.
S.Jones--TFWP