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L'assassinat de deux journalistes à Tijuana en moins d'une semaine repose la question de la protection des professionnels des médias au Mexique, le pays en paix le plus dangereux du monde pour les reporters avec une centaine d'homicides en 20 ans.
Des rassemblements ont commencé mardi dans une quarantaine de villes sous le slogan "Ni silence, ni oubli". Ils n'ont souvent attiré qu'une poignée de personnes. La concentration est prévue dans la capitale Mexico pour 20h00 heure locale (02h00 GMT) devant le siège du ministère de l'Intérieur.
L'onde de choc du double meurtre de Tijuana a dépassé la frontière toute proche avec San Diego en Californie. Les Etats-Unis ont réitéré leur soutien aux efforts du Mexique dans la lutte contre l'impunité", dans un message de leur ambassadeur.
L'Union européenne a aussi exprimé sa "préoccupation face au manque de résultats dans les enquêtes ouvertes pour éclairer les cas antérieurs d'assassinats de journalistes".
Bruxelles a de nouveau demandé au Mexique de faire "tous les efforts possibles pour protéger effectivement les journalistes". "Nous appelons les autorités mexicaines à renforcer la protection des journalistes", a également réagi le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres à travers son porte-parole.
La journaliste de télévision Lourdes Maldonado, tuée par balle dimanche, et le photoreporter Margarito Martinez, abattu six jours auparavant, avaient sollicité un "Mécanisme de protection" qui existe depuis 2012.
Ce "Mécanisme de protection pour les défenseurs des droits humains et des journalistes" concerne actuellement "496 journalistes, 137 femmes et 359 hommes", lit-on sur le site internet du gouvernement fédéral.
Le "Mécanisme" prévoit entre autres une protection policière rapprochée et des caméras de surveillance à domicile, se souvient le directeur de l'hebdomadaire Proceso, Jorge Carrasco.
Le journaliste d'investigation en a bénéficié en 2013 après avoir été menacé de mort pour l'enquête sur l'assassinat de l'une de ses collègues et s'être réfugié quelques semaines à Paris.
"Dans mon cas cela a fonctionné", déclare-t-il à l'AFP. Mais, depuis, "le mécanisme a été dépassé. Il y a eu tellement de cas".
M. Carrasco constate également un "manque d'engagement" d'autres institutions (Parlement, pouvoir judiciaire). "On n'a pas impliqué les gouvernements des (32) Etats", estime-t-il. Le Mexique est un Etat fédéral.
"Il est clair que ce mécanisme ne marche pas", confirme à l'AFP Sonia de Anda, reporter à Tijuana. Le photographe tué à Tijuana avait sollicité une protection en décembre parce qu'il se sentait menacé. Il n'a jamais obtenu de réponse, selon elle.
Tuée dans sa voiture, la journaliste Lourdes Maldonado disposait d'une escorte policière quand elle se promenait à pied. "Il n'y avait évidemment pas de policiers dimanche soir", déplore Sonia De Anda.
-Bureaucratie-
La représentante de l'ONG Reporters sans frontières (RSF) au Mexique, Balbina Flores, regrette que la demande de protection du photographe de Tijuana se soit perdue dans la paperasse. "Le mécanisme doit apporter une protection immédiate et laisser les procédures pour après".
Manque de personnel, moyens insuffisants, erreurs dans l'application des mesures préventives : RSF énumère les failles d'un mécanisme qui, de plus, ne garantit pas une sécurité absolue. "Au moins quatre journalistes avec des gardes ont été assassinés en trois ans".
Joint par l'AFP, le "Mécanisme" n'a pas répondu.
En poste à Tijuana depuis les années 90, la journaliste Lourdes Maldonado avait directement demandé en 2019 la protection du président de la République, Andres Manuel Lopez Obrador, affirmant avoir "peur pour sa vie".
Mme Maldonado était en conflit avec son ex-employeur Primer Sistema de Noticias (PSN), une chaîne de télévision qui appartient à l'ex-gouverneur de l'Etat de Basse Californie Jaime Bonilla (2019-2021), l'homme fort du parti présidentiel Morena dans la région. Elle avait finalement gagné son procès quelques jours avant son assassinat.
Cette victoire après des années de procès devait lui rapporter 500.000 pesos (24.236 dollars), a déclaré l'ex-gouverneur Bonilla, qui a nié tout lien avec l'assassinat. Il s'est dit prêt à répondre aux enquêteurs, dans un entretien lundi avec la télévision du Grupo Formula.
En 2021, l'AFP a comptabilisé au moins sept assassinats de journalistes, tentant de voir pour chaque cas s'ils ont été tués pour leur travail journalistique.
La question s'est posée pour un homme retrouvé poignardé dans l'Etat du Veracruz mi-janvier, José Luis Gamboa, qui se présentait sur les réseaux sociaux comme le directeur de trois publications en ligne.
"Gamboa avait fortement dénoncé et critiqué les autorités locales pour leurs relations avec le crime organisé", d'après RSF. Il ne travaillait pour aucun autre média, a-t-on appris de source locale.
Une centaine de journalistes ont été tués depuis 2000, d'après des chiffres de la Commission des droits de l'homme.
A.Nunez--TFWP