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Aung San Suu Kyi, condamnée lundi à quatre ans de détention supplémentaires, incarne le destin tumultueux de la Birmanie: icône de la démocratie, puis paria à l'international avec le drame des Rohingyas, elle est redevenue une proie impuissante dans les griffes des généraux.
Renversée par l'armée en février 2021 et déjà condamnée à de la prison en décembre, l'ex-dirigeante, âgée de 76 ans, risque au terme de son procès des décennies de détention.
Elle a passé près de 15 ans en résidence surveillée sous les précédentes dictatures militaires. Confinée dans sa maison au bord d'un lac à Rangoun, elle s'adressait alors à des centaines de partisans réunis de l'autre côté de la clôture de son jardin.
Aujourd'hui, sa situation est radicalement différente. Tenue au secret dans la capitale Naypyidaw, ses contacts avec l'extérieur se limitent à de brèves rencontres avec ses avocats.
La junte, bien décidée à la faire définitivement taire, l'a inculpée d'une multitude d'infractions (sédition, corruption, fraude électorale...); beaucoup de ses proches ont été arrêtés, condamnés pour certains à de lourdes peines.
"Je ne crois pas en l'espoir, je ne crois que dans le travail (...) L'espoir seul ne nous mène nulle part", confiait-elle à l'AFP en 2015.
Quelques mois plus tard, son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), remportait un scrutin historique et Suu Kyi était propulsée à la tête de l'exécutif.
Une position qu'elle aurait dû conserver après le triomphe de la LND aux législatives de 2020, si les généraux n'en avaient pas décidé autrement.
- "Fille de mon père" -
La vie d'Aung San Suu Kyi a toujours côtoyé le drame. En 1947, son père, héros de l'indépendance, est assassiné. Elle n'a que deux ans et vit ensuite longtemps en exil, en Inde puis en Grande-Bretagne, l'ex-puissance coloniale.
Elle y mène la vie d'une femme au foyer, mariée à un universitaire d'Oxford, Michael Aris, avec qui elle a deux enfants.
En 1988, elle rentre en Birmanie au chevet de sa mère et surprend tout le monde en décidant de s'impliquer dans le destin de son pays, en pleine révolte contre le régime militaire.
"Je ne pouvais pas, en tant que fille de mon père, rester indifférente", lance-t-elle lors de son premier discours.
La répression de 1988 fait quelque 3.000 morts, mais marque la naissance de l'icône pour tout un peuple écrasé par la dictature depuis 1962.
Autorisée à former la LND, elle est rapidement placée en résidence surveillée et assiste, enfermée, à la victoire de son parti aux élections de 1990, un résultat que la junte refuse de reconnaître.
En 1991, Suu Kyi reçoit le prix Nobel de la paix mais ne peut se rendre à Oslo. Elle attendra plus de 20 ans pour venir le chercher.
Quelques années plus tard, son mari, resté au Royaume-Uni, meurt d'un cancer sans qu'elle puisse lui dire adieu.
Après près de 15 ans de résidence surveillée, elle est libérée en 2010 et entre au Parlement deux ans plus tard dans la foulée de l'autodissolution de la junte. La victoire de son parti en 2015 lui donne les clés du gouvernement.
- Rupture à l'international -
Rapidement, l'image de l'icône se fendille à l'international.
Certains lui reprochent sa conception autocratique du pouvoir, piégée par sa "position de quasi-princesse adulée dans son pays", commente le politologue Nicholas Farrelly.
Elle est aussi obligée de composer avec les militaires toujours puissants. En 2017, quelque 750.000 musulmans rohingyas fuient les exactions de l'armée et de milices bouddhistes, un drame qui vaut à la Birmanie d'être accusée de "génocide" devant la Cour internationale de Justice (CIJ).
Suu Kyi ne condamne pas les généraux. Pire, elle défend en personne son pays devant la Cour, niant "toute intention génocidaire".
Mais la victoire de son parti aux législatives de 2020 inquiète les militaires. Elle est renversée.
Enfermée, réduite au silence, "Mère Suu" a peu d'influence sur la Birmanie d'aujourd'hui. De nombreux jeunes ont même renoncé à la non-violence, un de ses principes, et mènent des opérations de guérilla contre la junte.
"La gouvernance de Suu Kyi contient forcément des ratés", relève Sophie Boisseau du Rocher, de l'Institut français des relations internationales. "Mais elle a permis un appel d'air qui donne aujourd'hui au peuple la force de résister".
S.Rocha--TFWP