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En pleine nuit cet été, les boulons d'une éoliennes de Sardaigne ont été dévissés, une opération de sabotage reflétant le fort rejet suscité sur place par les énergies renouvelables.
Le climat venteux et ensoleillé de la grande île italienne en font un territoire idéal pour les énergies éolienne et solaire, mais l'intérêt qu'y portent les investisseurs inquiète certains habitants, qui estiment que leur région est exploitée.
Si les boulons desserrés ont été découverts avant que l'éolienne ne s'effondre, elle n'est pas la seule infrastructure a avoir été vandalisée cet été.
"Il y a un rejet viscéral des projets d'énergie renouvelable. La situation est vraiment tendue, le vandalisme vise à intimider les décideurs politiques", explique Marta Battaglia, responsable de l'association environnementale Legambiente en Sardaigne.
"Les gens disent que les énergies renouvelables font peur et défigurent le paysage, conduisant ainsi à la perte de notre identité", observe-t-elle.
Des mouvements de résistance similaires existent dans d'autres pays européens, comme au Royaume-Uni ou en France.
"Mais le paysage sarde est déjà altéré par le changement climatique", note Marta Battaglia, alors que l'île est en première ligne face au réchauffement climatique, subissant sécheresse et incendies estivaux qui envahissent de fumée ses célèbres plages de sable blanc.
En outre, la Sardaigne est la région qui émet le plus de gaz à effet de serre par habitant en Italie, selon l'Institut pour la protection et la recherche environnementales (ISPRA).
- "Invasion" -
En 2022, 74% de l'énergie de la Sardaigne était d'origine thermoélectrique, dont la plupart provenait du charbon, alors que l'Italie cherche à éliminer progressivement ses centrales à charbon, dont deux en Sardaigne devant fermer d'ici 2028.
C'est toutefois avec la promesse de mettre un frein à ce qu'elle appelle "l'invasion" des renouvelables qu'Alessandra Todde a été élue présidente de la région de Sardaigne en février, après une hausse du nombre de demandes de permis de construire.
Les opposants aux renouvelables arguent que les grandes entreprises projettent d'installer des structures qui produiraient bien plus d'électricité que ce dont aurait besoin la Sardaigne et d'envoyer l'excédent dans d'autres régions d'Italie. Un corridor électrique reliant l'île au reste du pays devrait d'ailleurs être ouvert à cet effet en 2028.
Le surplus d'énergie pourrait également être stocké en Sardaigne pour produire de l'hydrogène, qui serait utilisé dans des industries difficiles à décarboner.
La Sardaigne dispose actuellement d'une capacité de production maximale de 2,78 gigawatts et il faudrait que ce chiffre augmente de 6,2 gigawatts d'ici 2030 pour atteindre les objectifs de transition fixés par l'Union européenne dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
La société de réseau électrique italienne Terna affirme avoir reçu 804 demandes de raccordement d'énergies renouvelables au réseau, ce qui représente une capacité de production totale de 54 gigawatts, mais seulement 0,4 gigawatt a reçu un feu vert.
- Un territoire "inapproprié" -
Alors qu'un cadre national a finalement été défini dans un décret en juin, Alessandra Todde a réitéré sa promesse électorale et décrété en juillet un moratoire de 18 mois sur l'ensemble des nouveaux projets d'énergies renouvelables, y compris ceux qui avaient déjà reçu une autorisation et dont les travaux n'avaient pas encore commencé.
Le gouvernement a de son côté fait savoir qu'il contesterait ces moratoires devant la Cour constitutionnelle.
Pour atteindre les objectifs de 2030, la capacité de production maximale devrait augmenter d'1 gigawatt par an en Sardaigne, alors que ce chiffre est actuellement de 0,2 d'après Elettricità Futura, un lobby d'entreprises travaillant dans le domaine de l'énergie solaire. L'objectif semble difficile à atteindre sans la construction de grandes centrales photovoltaïques ou de parcs éoliens.
La présidente de région a malgré tout présenté le mois dernier un projet de réglementation des énergies renouvelables selon lequel "la majeure partie du territoire de la Sardaigne serait inadéquate" à l'installation de sites de production.
Plusieurs spécialistes estiment que cette réglementation équivaut à décréter une interdiction de construction sur 99% de l'île, ce qui n'a pas empêché les manifestations de se poursuivre.
- "Des récits biaisés" -
La semaine dernière, des habitants se sont rassemblés devant le parlement régional de Cagliari : avec leur slogan "Touche pas à la Sardaigne", ils demandent à ce que les projets d'énergie renouvelable soient limités aux toits des maisons et aux initiatives communautaires locales.
"Nous devons produire de l'énergie pour la Sardaigne, pour nos propres maisons", explique à l'AFP Davide Meloni, 36 ans, membre d'un groupe de "défense territoriale", qui dénonce les "tentatives de colonisation" de l'île par les multinationales.
Si la Sardaigne n'est pas la seule région d'Italie dans laquelle le nombre de demandes de permis de construire a fortement augmenté, les défenseurs de l'environnement dénoncent le rôle de médias influents localement, qu'ils accusent de ne pas être objectifs sur les renouvelables.
Mais aux yeux des manifestants à Cagliari, ce sont les grandes entreprises, Rome et Bruxelles qui ne sont pas objectifs.
"La beauté de la Sardaigne vient de ses paysages naturels", justifie Marta Rosas, une habitante de 54 ans, en montrant du doigt les montagnes s'étendant de l'autre côté de la baie. "C'est ce que nous ont laissé nos ancêtres, et c'est ce que nous voulons préserver pour nos petits-enfants."
G.George--TFWP