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Ali Cimen contemple les gravats qui soulèvent la poussière au-dessus de son ancien quartier: pour cet ouvrier du bâtiment en retraite, l'idée de reconstruire Antakya, l'antique Antioche, "en un an", comme le promet le président turc Recep Tayyip Erdogan en campagne pour sa réélection, est irréaliste.
"Ailleurs, peut-être. Mais pas ici".
Une demi-douzaine d'excavatrices sont en train de raser ce qui reste du complexe résidentiel vieux d'une soixantaine d'années, ravagé comme l'immense majorité de la ville par le séisme de 7,8 qui a frappé le Sud de la Turquie et la Syrie voisine le 6 février.
Des centaines d'autres engins balancent ailleurs leurs bras géants au-dessus des ruines de cet unique creuset de civilisations et de communautés mêlées que représentait la cité, l'une des plus libres d'esprit de toute la région.
Ce qu'elle doit devenir, la façon de la reconstruire suscite un intense débat social et culturel mais aussi politique à six semaines d'élections cruciales pour la Turquie, le 14 mai - présidentielle et législatives.
Déjà, estime Ali Cimen d'un oeil expert, "rien que d'enlever les décombres ça prendra au moins un an".
- Promesses de campagne -
Antakya a payé le plus lourd tribut à la catastrophe qui a fait plus de 50.000 morts.
Le chef de l'Etat en campagne a promis de reconstruire toutes les zones sinistrées --qui abritaient 13 millions de personnes-- d'ici le début de l'année prochaine.
Entre les décombres où flotte la puanteur des corps toujours prisonniers, des cordes à linge trahissent une vie qui subsiste au milieu des ruines.
Mais l'entrelacs de ruelles animées, le labyrinthe de pierres qui caractérisait le vieux centre d'Antakya reste impraticable, barré par les décombres accumulés et les ruines des immeubles, parfois de plusieurs mètres de haut.
Erdogan a annoncé mercredi à la nation que "la moitié des décombres de la province d'Hatay et d'Antakya avaient déjà été déblayés". Une annonce accueillie avec mépris par Gokan Karaoglan.
"Cela fait deux mois et ils n'ont toujours pas déblayé les ruines", s'insurge le quinquagénaire bedonnant. "Il faudra bien encore trois, quatre ou cinq ans. En attendant, nous vivons ici dans la misère".
- Tout démolir -
Sur place l'ingénieur en chef responsable des travaux précise qu'ordre a été donné de raser les édifices les plus menaçants en priorité. "Même les bâtiments que vous voyez encore debout sont endommagés et finiront par être abattus", assure Murat Sirma, 45 ans.
"Je pense vraiment qu'il en restera vraiment très peu à la fin", confie-t-il. "Peut-être cinq à dix pour cent".
Le travail est dangereux. La poussière de ciment qui se dégage des débris est empoisonnée par la variété des matériaux qui s'y mêlent, en particulier l'amiante qui servait à ignifuger les bâtiments.
Des pans entiers d'immeubles s'effondrent souvent dans une tempête de poussière grise qui recouvre tout.
Les ouvriers attelés aux chantiers portent des masques pour se protéger mais les badauds qui contemplent le spectacle en sont généralement dépourvus.
"Il y a une millier d'excavatrices à l'oeuvre dans la province d'Hatay" dont Antakya est le chef-lieu, commente l'ingénieur. "C'est un énorme chantier".
- "Des morts vivants" -
Les gravats sont empilés dans de lourds camions qui les emportent hors de la ville, vers les décharges prévues par le gouvernement, régulièrement aspergées d'eau pour plaquer la poussière.
Beaucoup d'habitants d'Antakya semblent néanmoins tellement submergés par le choc et le chagrin qu'ils ne parviennent pas à envisager un avenir une fois les ruines dégagées.
D'autant que le souvenir de Dyarbakir hante les esprits: le centre-ville historique de la grande ville du Sud-Est à majorité kurde, dévasté par la guerre en 2015-2016, a bien été reconstruit rapidement. Mais le résultat manque singulièrement du charme de l'original.
Selon Murat Sirma, l'ingénieur, les futurs plans d'Antakya ne seront déterminés qu'une fois tous les décombres enlevés. Emina Burc n'arrive pas à se projeter si loin.
Cette femme de 39 ans s'est jointe à un petit groupe pour regarder les excavatrices attaquer les restes de sa maison.
"Pour être honnête, j'ai l'impression que nous sommes des morts-vivants", lâche-t-elle.
Mais Gokan Karaoglan veut garder espoir: "c'est là que je suis né, c'est là que j'ai construit ma maison et c'est là que je finirai par mourir".
M.Cunningham--TFWP