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Prendre les eaux, est-ce utile? Loin d'offrir un bénéfice médical incontestable, les cures thermales françaises restent largement remboursées par la Sécurité sociale. Et la situation est partie pour durer face au lobbying d'élus qui redoutent de perdre une précieuse rente économique.
"L'immense majorité de la médecine française pense que le discours thermaliste, c'est de la foutaise", assure à l'AFP le diabétologue André Grimaldi, connu pour ses critiques virulentes des politiques de santé publique.
Les cures thermales, proposées dans une centaine de villes disséminées en France, promettent pourtant de soigner diverses maladies grâce aux bienfaits supposés de l'eau locale.
Celle-ci peut se boire, être appliquée sous forme de boue lors de massages, servir de cadre à des exercices aquatiques... Les cures, réalisées chaque année par plusieurs centaines de milliers de patients, comprennent en effet une part de kinésithérapie et d'activité physique.
Ces "soins thermaux" sont, depuis plusieurs décennies, remboursés par la Sécurité sociale à hauteur de deux tiers de leur montant. A condition d'être prescrits par un médecin contre une pathologie précise.
Les possibilités sont vastes: la liste des spécialités va de la rhumatologie - de loin la reine du secteur - à la cardiologie, en passant par la psychiatrie ou la dermatologie.
Or, les bénéfices du thermalisme font l'objet d'un vaste scepticisme chez la majorité des spécialistes de ces différents domaines, interrogés par l'AFP - qui a choisi de ne pas solliciter de médecins liés au secteur.
- Pas d'eau "magique" -
"Je ne vois pas d'évidence scientifique pour ça", assure Christophe Leclercq, président de la Société française de cardiologie. "La prise en charge par la Sécurité sociale n'est pas forcément justifiée", tranche le psychiatre Antoine Pelissolo.
Une minorité, néanmoins, juge que les cures ont un intérêt, mais sans croire aux bénéfices des eaux.
"Il faut voir les cures thermales comme une période particulière pendant laquelle il y a une activité physique", avance le rhumatologue Francis Berenbaum, excluant pour autant tout "effet magique de l'eau".
C'est aussi la position de la Sécurité sociale, actuellement en train de renégocier la convention qui régit ses rapports avec le secteur et expire en fin d'année.
"On rembourse ce qu'il y a de plus médical", explique Dominique Martin, le médecin qui conseille l'Assurance maladie. "Ce qui compte, c'est l'accompagnement, les massages... Après, est-ce que des oligo-éléments dans les boues passent (dans l'organisme) ? Honnêtement, ça ne me dit rien."
Ce ne serait donc pas l'eau qui compte mais tout ce qu'il y a autour. Seulement, cette position pose des problèmes de cohérence: Pourquoi par exemple ne pas juste prescrire des exercices physiques dans une piscine à domicile?
Le monde thermal lui, vante des atouts indissociables: "il y a la qualité de l'eau thermale sur la peau ou les tissus, mais aussi toute la technique: c'est une conjonction", estime Thierry Dubois, à la tête du lobby du secteur, le Conseil national des établissements thermaux (CNETh).
Il renvoie le scepticisme de certains médecins à une méconnaissance du thermalisme, estimant que la valeur thérapeutique des cures est avérée par la fidélité de nombreux patients quand bien même ils doivent en payer une partie.
- Vrai travail de recherches -
A certains titres, le débat rappelle celui sur l'homéopathie, dont le remboursement a pris fin en 2021 face à son absence d'efficacité. Comme les homéopathes, le monde thermal met l'accent sur le faible coût du secteur pour la Sécurité sociale: pas même 0,5% des dépenses.
Cependant, contrairement à l'homéopathie, le monde thermal a engagé et financé depuis une vingtaine d'années un véritable travail de recherches scientifiques, parfois publiées dans des revues de référence.
Reste que ces études sont rarement aussi concluantes que la présentation qui en est faite. L'une d'elles, dite "Thermarthrose" et présentée comme l'une des plus probantes, conclut ainsi qu'une cure thermale permet d'améliorer l'arthrose du genou. Mais elle est contestable à plusieurs titres. Elle mêle bains, massages et exercices physiques dans l'eau, sans distinguer lesquels ont réellement un effet.
Autre biais important, les patients du "groupe témoin" – ceux qui n'ont pas bénéficié d'une cure – sont censés avoir réalisé par eux-mêmes un programme d’activité physique mais l'étude n'a pas vérifié à quel point ces exercices étaient effectués.
Autant de biais "typiques d’un essai clinique promotionnel", juge le cardiologue Jérémy Descoux, engagé dans la lutte contre les pseudo-médecines au sein du collectif Fakemed.
- Un amendement éliminé -
Un regard extérieur permettrait de trancher, par exemple celui de la Haute autorité de santé (HAS). Normalement, cet organisme public décide systématiquement si un traitement doit être remboursé ou non.
Sur le thermalisme, elle n'a jamais été sollicitée. Certes, certains députés de la majorité ont récemment proposé un amendement qui conditionnerait le remboursement des cures à son avis mais il a suscité l'indignation d'élus de différents bords, issus de départements riches en villes thermales. Et le gouvernement, qui a interrompu mercredi par un 49.3 les débats parlementaires sur la Sécurité sociale, en a profité pour éliminer cet amendement.
Ce n'est pas une première: "à chaque fois les acteurs thermaux arrivent, via des réseaux d'élus, à déjouer les tentatives (de) diminuer le remboursement", explique le sociologue Adrien Sonnet.
Car l'intérêt économique du thermalisme va bien au-delà des seuls établissements. Les stations sont très souvent de petites villes dont les commerces dépendent largement de l'afflux de curistes. Il est difficile pour les élus de laisser tomber ces pans entiers de leur circonscription.
L'ancien député Yves Bur en sait quelque chose. En 2008 déjà, il proposait sans succès un amendement qui aurait réduit le remboursement des cures. Sa propre majorité, de droite, l'a refusé.
"Tout à coup, vous avez beaucoup de monde qui assiste aux séances (parlementaires): 50, 60 élus qui sont là et impatients", ironise-t-il.
"Le remboursement du thermalisme est protégé par son impact économique et touristique", conclut-il, y voyant une "cause perdue" pour l'argent public.
J.P.Cortez--TFWP