AEX
-11.9800
Des "contrats artificiels" d'assistants parlementaires afin de "faire économiser" de l'argent au Rassemblement National: l'accusation a dépeint mercredi dans son réquisitoire un "système organisé" de détournement de fonds publics au préjudice du Parlement européen.
Après un mois et demi d'audience, la triple candidate à la présidentielle sera fixée en début de soirée sur les peines réclamées par le parquet contre elle, son parti et 24 autres prévenus - cadres du parti, ex-eurodéputés et anciens assistants parlementaires.
"Nous ne sommes pas ici aujourd'hui en raison d'un acharnement", ni à cause d'une dénonciation "du Parlement européen", mais au terme "d'une longue information judiciaire", déclare d'emblée l'une des deux représentantes de l'accusation, Louise Neyton.
"Vous prendrez votre décision au vu des pièces du dossier", et après "six semaines d'audience" et des "débats particulièrement fournis", poursuit la magistrate dans une salle d'audience pleine où Marine Le Pen s'est assise au premier rang au côté de Louis Aliot, actuel numéro 2 du RN.
Avant l'audience, la cheffe de file de l'extrême droite tempère: "C'est le déroulé normal d'un procès, avec aujourd'hui une accusation qui accuse, ce n'est pas non plus très original".
Et pendant l'après-midi, alors que l'on vient d'apprendre que son père Jean-Marie Le Pen, 96 ans, est hospitalisé - "comme c'est le cas de manière régulière", précisera-t-elle à la presse - elle quitte plusieurs fois la salle d'audience pour téléphoner... Et en profite pour commenter devant les journalistes les réquisitions en cours dans la salle d'audience.
"Leur seul objectif, c'est de m'empêcher d'être la candidate de mon camp à la présidentielle (de 2027). Il faut être sourd et aveugle pour ne pas le voir", assure celle qui a dit au tribunal la semaine dernière que la peine d'inéligibilité qu'elle encourt aurait des "conséquences extrêmement graves", comme priver des millions d'électeurs de "leur candidate".
Tour à tour au fil de leurs réquisitions, les deux procureurs détaillent l'architecture d'un "système" qui a selon eux été mis en place au Front national (devenu RN) entre 2004 et 2016, consistant à embaucher des assistants parlementaires européens "fictifs" qui travaillaient en réalité pour le parti.
- "Preuve standard" -
A l'époque, "le parti est dans une situation financière particulièrement tendue. Tout ce qui peut contribuer à l'allègement des charges va être utilisé de manière systématique", que ce soit "légal ou pas", affirme Louise Neyton, alors que Marine Le Pen fait des "non" vigoureux de la tête.
Le Parlement européen ne fait que des "contrôles comptables", pour le reste il fait "confiance" aux eurodéputés quant à l'utilisation de leur dotation mensuelle de 21.000 euros: "Alors, c'est trop tentant, ces enveloppes vont apparaître comme une aubaine et être utilisées comme telles", insiste la magistrate.
Et ce "système", dit l'accusation, va "se renforcer" avec l'arrivée, en 2011, de Marine Le Pen à la tête du parti, avec un salarié chargé de la gestion des contrats européens, qui rend compte "seulement" à la présidente, la "donneuse d'ordres".
En 2014, après l'élection d'une vingtaine d'eurodéputés FN, le trésorier du parti Wallerand de Saint-Just écrit: "Nous ne nous en sortirons que si nous faisons des économies importantes grâce au Parlement européen", rappelle la procureure.
Et d'évoquer les mails - "pas tous, il y en a trop" - parlant de "montages financiers", de "transferts" de tel assistant "sur" tel député en fonction de la disponibilité des enveloppes. L'un ou l'autre, "tu peux choisir", est-il écrit dans un message.
Face à "la fiction alternative" proposée en défense, les procureurs se plongent ensuite longuement dans le détail du dossier. Prévenu par prévenu et contrat par contrat, ils décortiquent pour chacun "la nature du travail" effectué par les 12 assistants parlementaires, le "lien de subordination" qu'ils entretiennent avec "leur député" européen - neuf dont Marine Le Pen sont jugés au total, pour détournement de fonds publics.
Avec un constat général. En justificatif de travail, "il n'y a rien", sauf "la fameuse preuve standard: la revue de presse". Les contrats de travail ? "Artificiels", sans "cohérence" - "on est très contents de quelqu'un mais on s'en sépare, puis on le reprend", commente Nicolas Barret.
Des "déclarations à géométrie variable", voire du "n'importe quoi", résume Louise Neyton.
Le Parlement européen a évalué son préjudice financier à 4,5 millions d'euros, mais n'en réclame que 3,4 (une partie ayant été remboursée).
P.Grant--TFWP